Depuis quelque temps je vois sur mon Facebook des publicités pour Je Bouquine, une revue que j’ai toujours bien aimée (même si, abonné, j’ai avant tout lu les BD et regardé les images que lu les romans, mais je le faisais, au bout d’un moment). Je n’allais toutefois pas m’abonner mais j’avais été rendu curieux pas la miniature, reprenant la couverture du n° 480 de février 2024. Réalisée par PrincesseH, elle illustre le thème des petites filles rebelles, de Ségur à aujourd’hui, on reconnaît la coiffe type d’une Sophie, avec un beau roux, sur un personnage coupé en deux à la verticale. Le nœud rose cache un peu le « B » et je lis donc Je Rouquine.
Je trouve le jeu de mots drôle, et imagine un numéro explorant les petites rebelles rousses, et il y en a, avec ce que la rousseur a charrié de négatif (de diabolique), mais aussi de vivacité, de courage, de personnages positifs in fine. On pense évidemment à Fifi Brindacier (un personnage très politique qui a souffert de ses traductions françaises), à la relativement récente princesse Disney Mérida dans Rebelle en passant par la merveille Anne de la Maison aux Pignons vers. Très récemment l’énorme succès de Mortelle Adèle témoigne du goût pour les rousses rebelles, même si elle revient clairement aux origines diaboliques.
Bref, pressé de voir le sommaire de ce Je Rouquine, je clique et, double déception, d’une part je tombe sur une offre d’abonnement construite sur une citation de l’écrivain d’extrême droite Sylvain Tesson, d’autre part c’est le numéro le plus récent qui est visible. Je fouille un peu et tombe sur la couverture en grand, pas de mention de rousseur sur la couv, au-delà de l’image bien sûr, et pour cause : le nœud ne créer pas un R parfait, il passe juste dessus.
Je ne peux m’empêcher de trouver que le hasard est trop gros, et pourtant il semble que ce jeu de mots potentiel, mais pas allé jusqu’au bout, soit un hasard, ou une expression de l’inconscient du graphiste. Je n’irais pas jusqu’à dire un délire du regardeur que je suis, car la réception reste une réception, donc entendable même quand elle est curieuse. Même s’il est certain ici que l’image joue à bloc : il est fort probable qu’avec un personnage blond ou brun en couverture ma lecture n’ait jamais été orientée sur ce jeu de mots potentiel – de la lecture d’images.
Le rap français est rempli de référence aux mangas, ou plus souvent aux anime, évidemment il est difficile de savoir si les chanteurs font référence aux versions papier ou à leurs souvenirs du petit écran. Orelsan convoque aussi bien les Chevaliers du zodiaque, Ken le survivant ou Dragon Ball… toutes des séries passant dans sa jeunesse dans le Club Dorothée. Sincèrement j’imagine mal que cette génération, qui est aussi celle de l’explosion du manga fin 1990-début 2000, n’ai pas aussi en tête les bandes dessinées, au moins pour une partie des références. Je serai moins certain pour des références à Goldorak par exemple (comme cette fameuse chanson des Fatals Picards, qui n’est certes pas du rap).
En tous les cas, Nekfeu a fait la preuve de son intérêt pour les mangas, donc je pars un peu arbitrairement qu’il fait référence à quelque chose qui peut être un anime ou un manga, il l’a assez aimé pour être allé le lire, voire l’a découvert sous cette forme. Et débutons donc avec ce qui est un des premiers gros tubes solo de Nekfeu, jusqu’alors connu comme membre du collectif l’Entourage ou des groupes S-Crew et 1995 : On verra, dont le single extrait de Feu a été certifié disque de diamant à sa sortie en 2015.
La phrase qui nous intéresse est anecdotique, elle m’avait valu une discussion marrante. Dans une bibliothèque où je travaillais, j’avais eu l’occasion de parler de Nekfeu avec un usager trouvant ça bien écrit (on reviendra sur l’aspect « littéraire » de Nekfeu) mais reprochant toujours aux rappeurs de faire l’apologie des drogues. En l’occurrence, si On verra est assez banal dans sa thématique (Carpe diem, il faut vivre maintenant plutôt que se tuer au travail, il faut savoir profiter) c’est une chanson en réalité assez moraliste (voire conservatrice) sur la drogue et tout un tas d’autres plaisirs artificiel.
Tout en mettant joyeusement en scène de l’alcool dans son clip, son texte reproche dès le début aux jeunes de ne plus savoir s’amuser sans, regrette que la nourriture soit devenue « consommation rapide », que les jeunes parlent + via écrans qu’en vrai, il explique qu’il ne laissera pas conduire un ami qui a bu (et c’est très bien)… Et on arrive donc à la phrase interprétée comme une apologie de la drogue :
« Oui, je pense qu’à m’amuser mais, pour la coke, j’ai le nez de Krilin »
Sauf que Krilin, dans Dragon Ball, est un personnage certes humain mais qui n’a pas de nez. Cet attribut est même le ressort comique d’un épisode où il affronte un certain Bactérie, luttant avec son immonde odeur. Krilin suffoque, défaille, jusqu’à ce que, sur le décompte de l’élimination, Sangoku lui rappelle un détail (sens de lecture original) :
« Avoir le nez de Krilin » pour de la cocaïne, c’est littéralement ne jamais pouvoir en prendre. Une position assez constante puisqu’en 2011, dans un duo, il chantait déjà, avec une charge + politique : « Jamais pris de C, j’reste à l’abri des problèmes de bourges »
De l’importance de certaines références dans la réception des œuvres.
Une incompréhension d’autant plus amusante que Nekfeu est connu, et apprécié, voire célébrée, pour ses références littéraires. La page Wikipédia nous dit ainsi, en cohérence avec le discours médiatique :
L’album contient plusieurs références littéraires : trois titres explicitent cette idée, ils empruntent leur nom à des ouvrages (Martin Eden de Jack London, Le Horla de Guy de Maupassant, Risibles Amours de Milan Kundera) ; il fait également référence à Demande à la poussière de John Fante, Émile Zola ou encore Michel Houellebecq.
Nulle référence à Dragon Ball, pourtant un livre, mais on ne parle pas de bande dessinée ici, encore moins de mangas, mais de littérature, m’enfin !
En mars 2005, j’ai 16 ans depuis peu et je publie le 3e numéro de Gorgonzola, fanzine créé quelques mois aupparavant avec pour volonté de faire découvrir la BD que j’aime à mes copains pour pas cher, de publier mes pages (j’arrêterai relativement vite) et de développer en papier toute l’explosion vécue des blogs BD.
Gorgonzola c’est un fanzine de création fait dans ma campagne, qui devient un ticket d’entrée pour les festival, des stands, de nouvelles rencontres, etc. Je retiens souvent qu’au n°16 de janvier 2011 on fait notre premier gros dossier rédactionnel (sur le BD Argentine), avant d’instituer un dossier régulier sur un thème d’histoire de BD relativement récente à partir du 18 de janvier 2013.
Si ce n’est pas faux, c’est une petite réécriture de l’histoire assez amusante puisque dans tous premiers numéros, j’avais mis un peu de rédactionnel : des entretiens d’auteurs, un classique vu dans d’autres fanzines. Et le casting est pas mal : Matt Konture au n°2, Nikita Mandryka au n°4, un obscur chanteur au n°5 (Billy B. Beat, mais j’aime toujours beaucoup) et au n°3, déjà, Julie Doucet.
J’avais été soufflé par ma découverte de Ciboire de Criss en 2003/2004, j’avais une amie québécoise depuis quelques années et je rêvais de cet endroit, j’avais aussi vu ma première pièce de Mouawad, qui lui aussi pointait là-bas.
Bref, j’ai écrit à l’Association, qui a transmis mes questions. Elles n’étaient pas folles, que par courriel, banales en large partie. J’ai illustré d’images prises sur internet, déformées par ma « maquette » sous Publisher, mais j’ai retenu qu’elle était très gentille. Je dépose l’entretien ici, il ne vous apprendra rien, c’est un document, disons.
Donc voilà, en mars 2005, déjà Julie Doucet, déjà des entretiens.
En octobre de l’année suivante je publiais une demi-page dans un fanzine de BD québécois, Ça pue ! n°4, publié par l’autrice Iris. La page est plutôt nulle (même si je suis très reconnaissant à Iris de l’avoir publiée), mais c’est une parodie/hommage autofictionnel de Doucet. Déjà donc, des années avant de lui dédier le n°2 de mon égozine Ceci est mon corps. Je rajoute cette BD sans grand intérêt si ce n’est documentaire à la suite de l’entretien.
En septembre 2022, j’irai chez elles quelques heures, pour un long entretien pour neuvième art. L’année suivante au FIBD j’animais un plateau génial avec elle, Diane Obomsawin, Siris La Poule, Marc Tessier et Julie Delporte.
Ça vient de loin quand même !
PS : On notera qu’au début de Gorgonzola les trois auteurices de BD interviewés le sont tous avec une pratique de l’édition, qu’elle soit à petite échelle comme Doucet, où en librairie voire en kiosque. Ce rapport à la conception et à la diffusion des livres n’est pas anecdotique à mon avis, même si à l’époque je ne le conceptualisais pas.
Au lancement des Cahiers de la BD, l’éditeur avait proposé une chronique signée par divers auteurs sous le pseudo gag de Daniel Merveille (en hommage à Daniel Vermeille, auteur culte de Rock & Folk). Il s’agissait d’une sorte d’Oncle Paul racontant les concept avec un ton bonhomme débutant toujours par « Bonjour les enfants » tout en parlant quand même du sujet, le tout en 3000 signes. On y a écrit sur le festival d’Angoulême, les bulles… j’avais fait celui-ci sur le roman graphique, jamais publié, il y a bien cinq ans, j’ai essayé de la remettre dans la revue, puisqu’elle avait été oublié, mais il semble qu’elle soit refusé.
Il s’avère que j’aime bien ce que j’y raconte, même si c’est bref et ne casse pas trois pattes à un canard, moi qui ai dans mes cours sur la BD un slide nommé « Contre le roman graphique ».
Bonjour les enfants. J’ai appris que certains d’entre vous ne voulaient plus m’entendre parler de BD, car ils préfèrent le « roman graphique ». Pourquoi pas, mais êtes-vous au moins d’accord entre vous sur ce que ça veut dire ?
Le premier à utiliser ce terme est le critique américain Richard Kyle en 1964. Son but est purement marketing : il n’y a pas de tables sur la BD dans les librairies et il veut être mis avec les essais littéraires. Personne ne note vraiment l’usage et c’est Will Eisner qui le popularise en 1978 avec A Contract with God. Le dessinateur du Spirit veut se démarquer de ses anciens travaux et publie quatre nouvelles dessinées : des sujets lourds, une ambition narrative, un format entre comics et littérature, du noir et blanc. Voilà pour lui la définition du roman graphique.
L’expression « roman graphique » fonctionne très bien, même Marvel la reprend quelques années plus tard pour des aventures vendues plus cher, avec des super-héros et en couleur, retenant surtout l’idée de cibler un public différent. Le terme « roman » permet de se distinguer de la masse, de montrer qu’on ne lit pas n’importe quoi, surtout à ceux qui n’y connaissent rien. Sur le fond, la chose est plus discutable. Après tout dès 1918 le Belge Frans Masereel publie un « roman en gravures ». Il y a un siècle ! Rodolphe Töppfer, lui, faisait de la « littérature en estampe ». Et le genre est monnaie courante jusqu’au 50’s sans que personne ne s’en émeuve. Il s’agit alors de rendre accessible des idées politiques, avec des images et impressions venues de l’affiche.
En France, au début des 80’s, Casterman publie sa collection « Les Romans (À suivre…) » en parallèle de sa revue, l’idée est surtout de publier des récits assez longs, sortant du cadre de l’album, et d’accompagner les éditions de Pratt. Il y a bien une ambition littéraire dans les premiers numéros, mais cela devient vite flou. Flammarion lance une collection « Roman BD », mais il s’agit juste de petit format quand les Humano mettent le même terme pour leur collection de one-shot. Autant dire qu’entre le roman graphique de superhéros, les pré-graphic novel et ça, Eisner y perdrait son américain.
Le terme s’installe ainsi, présent sans s’imposer. Après la vague de (re)découverte de la BD alternative au début des 90’s des éditeurs relancent des collections Roman BD, désignant cette fois a priori plutôt un format : entre l’album et le poche, 150 pages minimums, en noir et blanc. De quoi signer les plus porteurs des auteurs alternatifs. Mais le manga arrive et bouscule tout, avec une pagination qui y ressemble, mais en moins cher. D’autres, comme Taniguichi, sont publiés aux côtés des volumineux « bédéromans ». Le terme ne désigne alors finalement qu’un format. Mais voilà que certains y présentent 200 pages de gags en couleurs. Et que l’on cartonne la couverture.
Une chose est certaine, le roman graphique ce n’est pas tout et n’importe quoi. C’est une chose précise. Reste à savoir laquelle.
« Salut aussi à Rantanplan ! » chantent les Bérus dans leur hymne « Salut à toi ! », difficile de savoir si le chien du pénitencier de Lucky Luke est évoqué directement ou si c’est un ami (surnommé selon le chien sans doute – mais cela devient trop léger pour figurer dans l’index. Ce sera là !) mais les rois du punk français ont à leur répertoire un titre moins connu et profondément ancré dans le neuvième art, et ce dès leur premier album. « Frères d’armes » est la septième piste du mythique Macadam massacre, sorti en 1984.
Si vous la découvrez à l’instant, vous vous demandez peut-être quel rapport on retrouve avec la bande dessinée dans cette chanson. Si vous avez la pochette quelque part, le nom du parolier vous éclairera – tout en vous surprenant : Gérard Lauzier. Le futur cinéaste de films comiques qui ont peu marqué l’histoire était alors une célébrité de la bande dessinée : prix du scénario à Angoulême en 1978, Prix Adamson (prix suédois) du meilleur auteur étranger en 1981, Lauzier est même sacré Grand prix de la ville d’Angoulême en 1993. A posteriori il fait partie des noms un peu contestable mais avec ses Tranches de vies, il incarne une certaine BD sociologique, montrant la petite bourgeoisie, avec des dialogues ciselés – parfois très drôles, mais aussi assez sexistes et défaitistes. Cela lui vaudra d’ailleurs une altercation avec le groupe de dessinateurs punks Bazooka à la fin des années 1970. L’anecdote est connue, a été raconté plusieurs fois, voici la version donnée en 2007 par Lauzier dans un entretien à Bodoï :
j’ai déjà été insulté – ce qui, d’une certaine manière, est une forme d’hommage. Il s’agissait du groupe de dessinateurs Bazooka, qui officiaient à Libération dans les années 1970. Lors d’une édition du Festival d’Angoulême, ils m’avaient reproché d’être un fasciste misogyne. Et avaient fracassé à terre l’un de mes originaux. En partant, Kiki Picasso m’avait craché dessus. À l’époque, cette réaction était surtout idéologique : ces anarchistes se voulaient provocateurs. Claire Bretécher avait aussi été prise à partie.
Bref, pas très punk tout ça, Lauzier est d’ailleurs souvent cité comme un auteur de droite, même s’il moque parfois son milieu.
Et pourtant « Frères d’armes » a un texte de Lauzier. C’est impensable, comment aurait-il pu se retrouver à écrire pour le groupe ? La réponse est simple, contrairement à Fred pour Dutronc ou Menu pour Les Satellites, c’est assurément d’une adaptation faite sans son accord préalable (je serai curieux de savoir si, à terme, il a touché des droits d’auteurs, ce qui ne m’étonnerait pas). C’est un cas assez unique puisque l’intégralité de la chanson est une reprise de textes présents dans des bulles de « Frères d’armes », deuxième épisode de la courte série de western parodique Al Crane, dessinées par Alexis et paru dans le Pilote mensuel n°26 de juin 1976, puis en album l’année suivante chez Dargaud – cette fois le récit ouvre l’album, ce sera aussi le cas de la réédition de 1992 chez Vent d’Ouest.
Contrairement aux autres chansons de cet index, il m’est donc impossible de copier la partie du texte parlant de bande dessinée, aucune n’en parle directement, tout est hommage et reprise. C’est un extrait d’un dialogue entre Al Crane et un lieutenant, après plusieurs pages muettes on arrive sur un massacre d’Amérindiens pendant que les deux évoquent leurs souvenirs de joyeux carnages. C’est extrêmement bavard, très descriptif, évidemment noir. Voici le texte en question, tout est dit à l’exception de la deuxième bulle, ce qui donne l’impression d’un monologue et permet de faire de l’ensemble un bloc (avec parfois des successions de textes rapides qui brisent le rythme original comme le passage « Quelles journées ! Les vôtres… »)
Ce morceau est d’autant plus curieux que le précédent est une musique, sans texte à part des cris de joie et de loups, des crépitements de feu, une reprise à la guitare de « When Johnny Comes Marching Home » (dont l’air est lui-même une reprise, mais le titre de la chanson des Bérus est clair sur la reprise : « Johnny revient de la guerre »). Ce morceau se termine avec un son amenant directement celui d’après, comme une continuité. Il apparaît vraiment comme l’intro de « Frères d’armes », deux deux reprises atypiques formant un tout au milieu de « Macadam massacre » et une manière complètement unique d’évoquer la bande dessinée.
Pour continuer cet index annoncé il y a quelques jours. J’imagine qu’au début il y aura beaucoup d’articles dans un temps court, puis ça se calmera.
Ici, avec un chanteur que j’aime beaucoup et que j’ai eu de la chance de voir en concert. Un Néozélandais devenu un des plus grands chanteurs français, traducteur de Dylan et Léonard Cohen, entre autres. Il a aussi beaucoup écrit lui-même, dont cette chanson pacifiste contre la guerre du Vietnam, sortie en 1966 (et non 1968 comme indiqué sur YouTube) sur le deuxième album du chanteur Joue, joue, joue :
Ici nous sommes dans un cas d’évocation très rapide de la bande dessinée, ça ne peut pas toujours être une longue référence. L’ensemble fait deux vers.
Ici nous sommes dans un cas d’évocation très rapide de la bande dessinée, ça ne peut pas toujours être une longue référence. L’ensemble fait deux vers.
« Toi qui lisais les bandes dessinées Et te voyais en surhomme vainqueur »
Pas très positif évidemment, un jeune homme part à la Guerre, le cerveau embringué par des discours patriotiques, l’ennui, la volonté de se sentir vivre, et dans cette propagande les comics, de super-héros sans doute. Il faut dire qu’elle a bien existé.
Peu de choses de plus à en dire sinon que cela m’a fait penser à l’essai d’Eco – passionné de bande dessinée et chercheur curieux s’il en est -, de Superman au surhomme (1993 en France), liant Nietzsche et l’enfant de Krypton.
PS : Notons que si l’ouvrage sort en 1993 en France c’est a priori une traduction, sans doute amendée je n’ai pas pu vérifier à l’instant, d’un texte paru en 1976 en Italie avec un titre ne jouant pas du tout de cette comparaison : Il superuomo di massa.
Pour commencer cet index, une chanson que j’aime énormément, et un premier quasi hors-piste, avec une très belle chanson d’Anne Sylvestre sur son album Tant de choses à vous dire (1986). Une chanson atypique, combien parlent d’un dessinateur et de son œuvre en général plutôt que d’un personnage, un titre ?, une grande douceur et beauté, c’est Anne Sylvestre, en liberté aussi, car autoproduite à ce moment-là.
Sauf que… Jean-Jacques Sempé ce n’est pas à proprement parler de la bande dessinée. Il en a fait : un Petit Nicolas est en BD, au début, L’ascension sociale de monsieur Lambert est une BD parue dans Charlie mensuel en 1974, mais la très grande majorité du travail de Sempé, et ce pour quoi il est célébré est de l’illustration. On pense aux illustrations du Petit Nicolas et, surtout, à ses grands dessins légendés, drôles, suspendus, ce qu’on appelle ailleurs des cartoon et qui n’est pas très développé en France même s’il y a d’autres grands noms. Ce sont clairement à ces images qu’Anne Sylvestre fait référence.
Il reste que par son travail du dessin narratif, et par ses amitiés et collaborations, principalement Goscinny, ainsi que par le fait d’être publié dans Pilote, Sempé est très souvent intégré au champ de la bande dessinée. Il est connu des amateurs du neuvième art, a publié dans d’autres magazines de BD, et avait été célébré comme membre du champ en recevant un Fauve d’honneur au festival international de la bande dessinée d’Angoulême en 2010.
Ouvrons donc cet index avec ce pas de côté, mais pas trop, et Anne Sylvestre :
« Et je laisserai sans doute Quelque chose derrière moi Alors le plus bel hommage Ça serait de me laisser
Me promener dans l’image Je ne ferais que passer
Et je serais provisoire Une fourmi dans l’histoire Rassurée Un être humain dans la foule Dans la tendresse qui coule De Sempé
Comme un point dans une image Comme un petit personnage De Sempé »
PS : On oubliera volontairement que lui-même a toujours nié être membre de cet univers, déclarant à France Culture huit ans après avoir accepté le prix du FIBD : « J’ai horreur de la bande dessinée, des petits carrés et des grosses lettres ! » Bon j’ai toujours entendu qu’il était nettement moins sympathique que ses dessins.
Qui aime l’approche à la fois sérieuse amusée de la langue française, le Québec et la bande dessinée québécoise (mais aussi le hockey, ce qui est moins mon domaine, même s’il peut croiser la langue ou la BD) connaît le blog de l’Oreille tendue, dont on dit qu’elle s’appellerait Benoît Melançon. Il y a publié de nombreuses choses, dont une bibliographie critique de la BD québécoise, en explorant on retrouve aussi un texte sur les fanzines québécois publié en 1983, mais aussi des rubriques récurrentes. Parmi elles, « Chantons le hockey avec… », qui récolte des chansons diverses évoquant ce sport. Depuis que je connais cette rubrique dès que j’entends une évocation de BD dans une chanson cela me donne envie d’une liste du même genre.
Faute d’avoir convaincu Melançon de la faire, j’ai donc finalement décidé de faire ce relevé moi-même !
Je ferais comme lui, un post par chanson, ce post initial servira de référence et d’index. Au fur et à mesure je créerai les pages des chansons citées ci-dessous, avec l’extrait musical et l’extrait de paroles, éventuellement une petite réflexion.
Précisons que dans mon cas, je pense surtout à des chansons en français, je n’exclue pas d’autres langues, mais ce serait un corpus à part et nécessairement enrichi par des contributions extérieures.
Théoriquement je me fixerai vraiment sur les paroles, et pas les clips ou autres choses : pochettes illustrées (sujet déjà exploré par d’autres, mais riche !), auteurs de BD paroliers (cela peut se croiser, comme Fred pour Dutronc ou Menu pour Les Satellites), ou même nom de groupe avec les Wampas, qui ont tiré cette belle sonorité d’un épisode de Rahan.
Une difficulté à poser, que le hockey ne pose pas, je crois : quand Orelsan ou Nekfeu évoquent Dragon Ball, ils se réfèrent sans doute + à l’anime qu’au manga, quand Gainsbourg évoque Barbarella je me suis dit que c’était probablement + la figure mythique du film que la BD de Forest. Une hypothèse erronée erronée puisque le chanteur (que j’ai adoré et dont je suis largement revenu) a sorti cette chanson avant le film, et a fait la musique et la narration un film étrange produit par l’ORTF en 1965, fondé sur des dessins de Forest, justement, à savoir Marie Mathématique, petite sœur de Barberella, avec des textes du poète André Ruellan. Fichtre.
Je conclus de ces hésitations que je relèverai les références ayant un lien avec la bande dessinée (sous toutes ses formes où nominations : manga, comics, roman graphique, illustrés…) quand bien même cela pourrait venir d’un récit plurimédiatique. J’exclurai cependant les génériques ou chansons directement issues d’une adaptation en film, dessin animé, etc.
Idex de chansons bande dessinantes (mise à jour perpétuelle)
Graeme Allwright Johnny (les comics de super-héros, 1966)
Tai-Luc Tu voulais (Grand-père) (Pif Gadget / 2007)
Image : Oldelaf dans le clip de Mille milliards (2024)
Merci à Anthony Rageul, Laurent Boutin, Benoît Melançon, Jimmy Beaulieu, Yannick Lejeune, Elric Dufau, Benoît Barale, Tzvetan Liétard, ManuSw pour les suggestions.
Ce site n’a vocation à publier tout mes devoirs, mais ceux qui me connaissent savent que j’ai une curieuse lubie d’accumulation de diplômes universitaires*. Je vous jure que s’il y a sans doute un complexe derrière ça, la première raison est une passion d’apprendre. L’an dernier, en parallèle de l’Institut national d’études territoriales, j’ai donc suivi la licence en sciences sociales mention ethnologie de l’Université de Strasbourg. J’y ai eu des cours passionants sur des sujets divers : des cours de fondamentaux de l’anthropologie, de la sociologie de la famille, de l’anthropologie urbaine, de la nature, des cultures matérielles (j’en ai déjà un peu parlé) et, donc, de l’anthropologie de la mémoire. C’était passionnant sans être mon cours favoris mais le devoir m’a intéressé, j’explorais quelque chose de très intime et j’ai eu une très bonne note. Mais au-delà de ça ça m’a vraiment touché de creuser ce sujet des bretons, liés à l’histoire familiale, à la poésie, etc. Voici donc ce texte, calibré pour être un devoir mais qui, j’espère, se lira bien.
Le monument aux Bretons de Conlie, une reconnaissance mémorielle paradoxale
Pour cette étude j’ai choisi un lieu de mémoire situé à Conlie, en Sarthe, à proximité de la frontière mayennaise. C’est un lieu de mémoire dont l’existence me semblait évidente, puis dont j’ai appris par plusieurs camarades de lycée résidant à proximité qu’ils n’en avaient jamais entendu parler. J’ai finalement appris qu’il existait bien, grâce à un retraité bénévole dans un musée associatif de la ville consacré à la Seconde Guerre mondiale. Il le connaissait par son intérêt pour l’histoire locale, bien que non lié période : il s’agit d’un monument assez sobre consacré aux Bretons morts en 1870-1871 dans le camp de la Jaunelière. Afin d’étudier ce monument je ferai d’abord un rapide récit de la manière dont je l’ai découvert, expliquant le pourquoi de ma surprise, puis décrirait le contexte de l’événement mis en lumière par le monument, puis le décrirait en rappelant l’histoire de sa construction, avant de parler de la vie mémorielle qui se déploie autour de son sujet. Constamment, cette histoire bute sur des paradoxes mémoriels, qui m’ont paru l’intérêt central de ce travail.
Il me paraît important de revenir brièvement sur ce qui m’a entraîné vers ce monument, cela faisant à mon sens pleinement partie de l’ethnographie mémorielle. Fils d’une famille implantée historiquement en Bretagne, j’ai été élevé avec une certaine proximité envers la Bretagne, tout en vivant en Mayenne. Dans mon adolescence, alors que j’allais vers Conlie, mon grand-père (né en 1929) m’a alors évoqué l’endroit où « les bretons ont été trahis », j’ai entendu plusieurs fois cela évoquer ensuite par mon père. Je fus surpris de voir que nous parlions alors d’un événement de la guerre de 1870, à laquelle aucune personne réellement proche de mon grand-père n’avait pu participer. Il utilisait pourtant directement ces termes, alors même qu’il était au cours de sa vie devenu fonctionnaire puis élu local, porteur du drapeau français en plus de sa bretonnité. Découvrant dans les mêmes années la poésie de Tristan Corbières, j’ai lu avec attention le poème « La Pastorale de Conlie », long et déchirant récit de Bretons traversant leur pays pour aller à la guerre sous ordre de la France, mais parqué dans un camp en cours de route et mourants à petit feu. Réalisé quelques années après les faits, j’y ressentais la même colère que celle de mon grand-père, celle que Benjamin Stora évoque en parlant d’« archive incandescente » (Brun, Ledoux et Mesnard, 2021) et il me semblait donc évident que pour les centaines de Bretons morts ici, un monument devait être construit et l’histoire bien connue. J’ai donc été surpris de voir qu’assez peu, et que le monument était certes haut, mais d’une réalisation assez simple, la sculpture étant par ailleurs posée au bord d’une route départementale. Cela a par ailleurs révélé un conflit de mémoires sur le nombre de morts, sur la réalité de la volonté d’éliminer les Bretons, ce que pouvait laisser penser ma famille ou Corbières qui insistent sur le mépris et la déloyauté, sur la présence de fosses communes, imaginées par des illustrations réalisées par Jean Moulin en 1930 mais a priori non attestées historiquement. Factuellement il y a bien eu en 1870 mobilisation d’une « Armée de Bretagne » pour lutter contre la Prusse, seulement pour des raisons en partie logistiques elle dut s’arrêter à Conlie. Entre les conditions climatiques, les maladies, le sentiment de déracinement et d’abandon d’une population ne parlant pas français, ce qui créera des problèmes de compréhension avec le commandement, le manque d’armes et de consignes, l’armée se retrouve parquée plus d’un an et plus d’une centaine de ses membres meurent. Corbières ou Le Mercier, dans des textes publiés en 1873 et 1930, décriront un carnage voire une volonté manifeste de tuer les Bretons, ce qui est contesté par les historiens parlant plutôt d’un ensemble de mauvaise décision ou d’incompétence (Lagadec, 2021). Sur ce conflit potentiel, a priori, le monument ne dit d’ailleurs pas grand-chose.
C’est en effet en haut de la la butte de la Jaunelière, directement au bord au bord de la D 304, que se trouve le monument. Le lieu est celui du camp où les Bretons sont morts, mais il est peu visible, dans une petite route, moyennement indiquée (il existe quelques panneaux, dont un étrangement posé, à quelques mètres, semblant dire qu’on peut ne pas le voir), et avec un espace d’accueil assez faible. Faute d’avoir pris une photo de ce sens, la photo proposée par Google est assez marquante :
Il s’agit donc d’un endroit de passage, même faible, absolument pas aménagé, et peu propice aux cérémonies. S’il est lié à un endroit précis, la modestie de l’ensemble frappe, nous sommes dans la quasi-opposition avec un lieu habité, négocié avec son environnement, puis mémorialisé tel que décrit par exemple dans le cas de Drancy (Lefeuvre, 2021). Ici, l’invisibilisation est quasi automatique, il n’y a rien à masquer ou détruire, mais il se pose les mêmes questions de révélation puisque rien ne laisse plus penser qu’il y a eu un camp. Entre une route et des bosquets, il faut aller le chercher pour le trouver et sa forme est en elle-même relativement sobre. Il est facile d’imaginer la difficulté des médiations historiques possibles, qui ne peuvent se fonder que sur de longues descriptions, rien n’étant plus visible. Il s’agit donc en érigeant un monument de lutter contre l’oubli tout en honorant, puisqu’aucune trace n’est manifeste. Plus précisément, il ne s’agit pas tant de garder mémoire de l’évènement mais bien du lieu, car il existe dans le cimetière de Conlie une « Croix des Bretons », nettement plus imposante, entretenue par le Souvenir français et érigée dès 1873. Cette croix rendant hommage aux Bretons morts pour la France est érigée suite à une souscription, le christ est taillé en Bretagne et la pierre en marbre de Bretagne (Dehayes de Marcere, 1878), la plaque indique que le monument est « ÉLEVÉ A LA MÉMOIRE DES MOBILISÉS BRETONS DÉCÉDÉS AU CAMP DE CONLIE ».
Quand cette antériorité m’est apparue, j’ai imaginé que le « Monument aux Bretons » érigé en 1913 prenait la suite de ces mobilisations, pour faire revivre le lieu de la mémoire humiliée et mobiliser sur une fibre bretonne qui existe toujours. C’est le premier paradoxe qui m’a frappé : le monument de 1913 est né après des enquêtes parlementaires et n’a a priori que peu intéressé les Bretons. Pour l’historien Yann Lagadec on assiste même à
une progressive « sarthisation » de la mémoire : c’est en Sarthe que les publications de récits, mémoires ou analyses se font, autour de la bataille du Mans entre autres, bien plus qu’en Bretagne. De manière très révélatrice, les cérémonies organisées à Conlie en mai 1913 à l’occasion de l’édification d’un monument commémoratif passent presque totalement inaperçues en Bretagne. (Lagadec, 2021)
En parallèle de cette commémoration, une médaille aux combattants du canton est remise. La face avant du monument, qui porte une assez classique gerbe de blé gravée et les dates d’existence du camp (somme toute brève : « Octobre 1870 -Janvier 1971 ») puis témoigne du souvenir de « L’Armée de Bretagne » et de la remise de médaille. Nous sommes donc dans un pur monument républicain, et assez peu breton, c’est pourtant lui qui me semble, par la force du lieu, investir plus fortement la mémoire. Postérieurement, le monument lui-même va subir des modifications qui témoignent d’un réinvestissement des mouvements autonomistes et indépendantistes Bretons vont réinvestir l’histoire des oubliés de Conlie puis, très récemment, d’une nouvelle approche de médiation croisée.
Lieu mémoriel « officiel » même si peu praticable, le « Monument aux Bretons » va petit à petit devenir le lieu de ce que Foucault appelle une « contre-mémoire ». Il y a là un autre paradoxe puisque, nous l’avons vu, le monument n’est pas né d’un engagement particulier des Bretons : il sera redécouvert au fil du xxe siècle, alors que le récit du camp de Conlie, appelé Kerfank (« le village de boue »), est mis en avant dans les récits nationalistes. Lagadec souligne d’ailleurs que bien d’autres épisodes, plus glorieux pour les Bretons, auraient pu être valorisé, mais que c’est bien ce récit de l’abandon par la France qui a été priorisé et a largement circulé, avec parfois des chiffres fantaisistes – plusieurs centaines de morts directs et indirects sont cependant attestés. Le monument porte la trace physique de cette évolution à partir de 1971, date du centenaire de l’installation du camp. C’est sous une forme atypique puisqu’une plaque noire est ajoutée, vissée dans la pierre, sur la face droite du monument. Contrairement à la face avant, rien n’indique l’origine de la plaque, je n’ai pas non plus pu retrouver à ce jour de document expliquant qui l’a financée et installée, mais cette plaque est en breton, ce qui indique tout de même quelque chose, et porte un texte étonnamment violent face au texte plus consensuel de la face avant. On y lit en effet ceci : « 1871 D’ar Vretoned trubardet Kerfank-Conlie, dalc’homp soñj 1971 » soit « 1871 Aux Bretons trahis au village de boue de Conlie. Souvenons-nous 1971 ». Il s’agit bien d’honorer ici les morts bretons, mais en désignant un coupable, ce qui est très différent d’un souvenir patriotique français. Cela arrive après des décennies d’écritures et de redécouvertes de l’événement, avec des livres à succès (Le Mercier, 1930), des textes militants dont, quelques années plus tard en 1978, une chanson du célèbre groupe Tri Yann, qui continue d’installer la trahison dans la mémoire collective bretonne. Il n’y a pas de traduction du texte à proximité du monument, ce texte en breton reste donc un témoignage pour initié dans un territoire où personne de le parle. Là aussi, en comparant au travail mémoriel du site de Drancy, je reste frappé par l’absence de médiation directe, d’explication d’un site déjà complexe, qui se complexifie avec cet ajout de strates mémorielles parfois concurrentielles.
Les médiations autour de ce monument témoignent aussi bien de cette « sarthisation » (en réalité plus proche du territoire de la communauté de commune que du département, en pure « histoire locale ») que d’une reprise par la bretonnité, une double approche qui reste relativement loin du souvenir national global. Ainsi, en 2015 un professeur d’histoire de collège constatant qu’« aucun élève de la 6e à la 3e n’avait entendu parler du camp de Conlie » (Ouest-France, 2015), décide d’investir ce sujet avec une classe. Après tout un cycle de travaux, ils ont créé une plaque de médiation expliquant l’histoire du camp, plaque installée au sein du collège pour que « tous les élèves qui passent par ce collège entendent parler de cette page tragique de l’histoire locale. » (Ibid.) Une action intéressante mais qui souligne l’absence de ce type de dispositif auprès du « Monument aux Bretons » et participe au fractionnement de la mémoire. Les médiations autour du Monument sont donc principalement de deux faits : celle d’un réinvestissement de nationalistes bretons (Le terme n’a pas de portée autre que descriptive, désignant des personnes se reconnaissant et revendiquant une nation bretonne) et des associations historiques locales. Ainsi, si je n’ai pu voir aucun de ces événements, certaines recherches en lignes font ressortir un rassemblement annuel de nationalistes bretons. De manière plus sure, des recherches indiquent des venues de groupes de militants bretons, notamment pour le centenaire, en association avec la mairie, ce qui crée une intéressante alliance de mémoires. Les associations historiques locales ont en effet un fort rôle et le Musée associatif Roger Bellon de la Seconde Guerre mondiale, même s’il ne porte pas du tout sur ce conflit, organise depuis 2012 des « Balade en histoire du camp des Bretons ». Réalisé par un « auteur en histoire locale » (titre donné par le guide lui-même, Les Alpes Mancelles, 2015), cette ballade mémorielle s’arrête devenant le monument, mais il n’est qu’une étape d’un parcours sur des terrains désormais vides mais visant à revivifier le souvenir de lieux absents, transformés, une sorte de parallèle modeste de ce que d’autres mémoriaux, comme celui de Drancy et ses guides professionnels, établissent. Je n’ai pu voir de ces ballades, qui restent rares dans l’année, mais la plaque y est sans doute traduite et contextualisée. Enfin, si la crise sanitaire a empêché les commémorations prévues en 2020 et 2021 pour les 150 ans du Camp, elles ont bien fini par avoir lieu, associant la mairie des associations bretonnes militantes. Par la suite, une association « Kerfank 1870 Conlie se souvient » a été créée à Conlie, dont les premières actions ont eu lieu pour les Journées du Patrimoine de 2023, soutenu par la mairie et le musée Roger Bellon, l’association a réalisé des visites en costumes et évocations du lieu. Le 11 novembre suivant, en parallèle donc des cérémonies militaires officielles, a finalement lieu la cérémonie des 150 ans, marquée par la présence d’élus locaux sarthois mais aussi par l’association nationaliste bretonne Koun Breizh, qui participe au cérémonies, dépose gerbes et drapeaux, fait jouer un bagad au pied du Monument et indique sur Facebook sa satisfaction d’avoir « noué des liens importants » (Voir par exemple ce post Facebook du 11 novembre 2023, consulté le 13/01/2024) avec les associations de la ville. Ici encore se retrouve cette curieuse mémoire croisée, qui scelle une alliance inattendue et témoigne d’une mémoire sans doute portée différemment selon les structures, aux objectifs pas forcément identiques, mais en lutte pour qu’une mémoire existe.
Constamment, ce Monument m’a amené vers des surprises, et à souligné des paradoxes : plusieurs monuments se partagent la mémoire, conflictuelle, celui qui marque le plus fortement le lieu historique est érigé en mémoire des soldats bretons par ceux que la mémoire bretonne accuse de traîtrise, il est finalement porté par les historiens locaux, avant d’être réinvesti par les nationalistes, physiquement avec une plaque mais aussi dans des éléments de culture populaire. Aujourd’hui, le Monument et la mémoire portée sont surtout saisis par des associations et institutions locales et des militants bretons, comme si ce Monument d’abord national vivait finalement dans des émanations différentes. Sans surprise, les cérémonies récentes sont d’ailleurs riches d’élus locaux, mais pas de représentants de l’État, comme si cette mémoire difficile pouvait se partager à une certaine échelle mais devait rester conflictuelle à une certaine strate. Des territoires « éloignés », perçus ou se vivant comme tels, peuvent ainsi s’allier pour leur histoire, subie dans les deux cas, Conlie n’ayant jamais demandé de camp. Ils font ainsi vivre un récit qui semble bien porter une « contre-mémoire », alors même que le Monument est né d’une manière tout ce qu’il y a de plus officielle et s’ancrant dans un « récit national » français bien différent.
* Afin de le lister quelque part, pour les curieux, à ce jour j’ai un Brevet de technicien supérieur (Edition), trois licences (Sciences de l’information et de la commuication, parcours Métiers de l’édition, du commerce du livre et des bibliothèques / Droit, parcours administration publique / Sciences sociale, parcours ethnologie), deux master (Histoire et Sciences de l’information et de la communication, parcours Politique des bibliothèques et de la documentation), plus quelques trucs hors diplômes classiques comme mon Diplôme universitaire en droit de la propriété intellectuelle, deux programmes courts (9 ECTS chacun) en études québécoises et mon Certificat d’aptitude aux fonctions de conservateur territorial des bibliothèques. Et le doctorat ? Et bien on se demande pourquoi il a du retard… (si vous vous questionnez, oui, j’aimerai faire encore des formations : un master en lettre, compléter une année pleine en études québécoises, une licence en sciences politiques… peut être quelque chose en management, mais j’arrive au bout quand même).
DETER est un courant du parti écologiste français, entre autres organisé autour de Raphaëlle Rémy-Leleu pour les figures médiatiques, qui s’est créé il y a un an environ. Je l’ai rejoint, à une certaine distance, puisque bonne, le nouveau poste, la famille, tout ça. Une des forces de ce groupe reste de tenter de réfléchir et produire de la réflexion, sans pour autant ne faire que des articles pour Bac+8, une spécificité des verts.
Pour cela, une gazette interne est régulièrement publiée, en papier et en ligne, avec notamment un abécédaire sur des concepts, mots-clés, etc. Ils peuvent être très liés à l’image de l’écologie ou non. Des chroniques courtes sont aussi écrites. Le tout n’est pas signé directement, mais comme j’aime bien tracer ce que je fais, vous trouverez ci-après mes trois notules parues dans les différents numéros.
PS : En bon écolo et adepte de la phrase de Lavoisier (« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme »), ceux qui suivent verront que j’ai recyclé sur nonfiction, en l’étendant largement, ma chronique du livre de Sophie Chiari. Et à vrai dire ce que j’ai écris sur les bibliothèques je l’ai aussi déjà beaucoup écrit et dit.
Un des numéros de la Gazette, qui s’ouvre sur un plus long texte avant les brèves
Gazette DETER #0, journée d’été des écologistes août 2024
Bibliothèques De tous les lieux publics culturels, les bibliothèques sont les plus largement ouvertes et fréquentées. Leur gratuité d’accès a été assurée en 2021, mais il faut aller plus loin. Dans quels lieux trouvez-vous aussi bien des jeunes familles avec leurs enfants, des étudiant·es venus réviser, des SDF venus recharger leur portable et lire la presse, des retraité·es cherchant à socialiser, des CSP+ intéressés par diverses actions… Ces lieux sont essentiels, autant pour leurs fonds que leurs espaces, par les croisements qu’ils permettent. Au cœur des débats sur les droits culturels et sur l’information, les bibliothèques accompagnent également les évolutions sociales et sociétales : les fonds spécifiques « écologie » ou « féminisme » adossés à une extension des offres – par exemple le prêt d’outils pour favoriser le commun et éviter la surconsommation – et à une programmation culturelle audacieuse sont de plus en plus courants. Assurées d’une certaine souplesse et adaptation face à l’État par leur aspect décentralisées, les bibliothèques n’en sont pas moins menacées par des alternances locales et par les pressions des lobbies conservateurs : les dénonciations d’ouvrages de La Manif pour tous ou les récentes mobilisations contre des lectures par des dragqueens et kings en attestent. Les écologistes ont tout intérêt à épouser les mobilisations des professionnel·les qui, tout en voulant conserver leur autonomie locale, appellent à de forts soutiens de l’État sur différents points : formation des professionnel·les, défense de la pluralité des collections (sur les sujets comme les formes – livres, numérique, jeux…), soutien financier à la gratuité des cartes d’adhésion, véritable clef pour passer un cap symbolique et toucher tous les publics.
L’écocritique : un nouveau regard sur la littérature, de Sophie Chiari La petite collection L’Opportune, des Presses universitaires Blaise Pascal, propose de faire le tour d’un sujet contemporain en 64 pages, pour 4,5 €, de quoi démocratiser la recherche et la rendre accessible ! Un tout récent opuscule se penche sur l’écocritique, courant des studies américaines souvent traduit écopoétique en France. Venu de la place de la nature et des grands espaces dans la littérature états-unienne, l’écocritique s’est étendue à toutes les approches critiques de la nature dans la littérature, la croisant parfois avec les sciences sociales et le militantisme. Riches d’exemples, montrant les différentes évolutions de cette approche plurielle, le livre de Sophie Chiari est extrêmement stimulants. Parce que la politique c’est déjà reprendre la main sur les récits ! (Gazette DETER #0, JDE des écologistes août 2024)
*
Gazette DETER #3, mars 2025
IDÉOLOGIE : C’est un lieu commun d’entendre qu’en politique, il faut « dépasser l’idéologie », souvent combinée d’un appel au « pragmatisme », terme qui surprend toujours quand il revient à défendre des mesures dont l’inefficacité, voire la dangerosité, sont prouvées (les exemples sont légion : frontières, agriculture…). L’idéologie est le mal, il n’y a pas si longtemps c’était pourtant le cœur de la politique, de l’appartenance à un groupe. On entrait dans un parti par conviction pour des lignes, par ancrage dans une famille de pensée, avec ses nuances et ses débats, mais dans un cadre commun. Marqués par des origines libertaires et mouvementistes, les Verts ont souvent été moins allant sur ce sujet que leurs prédécesseurs. Pourtant, de Reclus à Latour en passant par Guattari, Gorz, Dumont, d’Eaubonne… les noms de penseurs·euses de l’écologie ne manquent pas, et encore aujourd’hui. Nous avons une idéologie, nous ne sommes pas « apolitiques » et assumons depuis les années 90 un ancrage à gauche évident puisque le capitalisme menace par nature tout ce que nous défendons, quand bien même nous ne nous reconnaissons pas dans toutes les gauches. Il est temps de rappeler que la politique c’est de l’idéologie, et que oui, nous voulons « changer les imaginaires des enfants » (et des autres) comme l’avait si bien dit Léonore Moncond’Huy. Refuser l’idéologie, c’est sombrer dans le vide, le « Il n’y a pas d’alternative », le « en même temps », parfaitement idéologique, mais refusant de l’admettre. Affirmer la nôtre force au positionnement et permet de reprendre le contrôle des récits médiatiques.
*
Voilà, bon quand je vois des tas de name dropping de penseureuses et une recension de bouquins de presses universitaires, je doute de réussir à parler ailleurs qu’aux Bac+8, mais d’autres y arrivent mieux dans la Gazette, promis.